Deux producteurs hors Bordeaux ont profité de la trêve de l'Ascension pour proposer leurs 2023. Il s'agit de deux producteurs émérites, présents sans discontinuer dans nos offres depuis plus de 25 ans qui, à notre avis, sont parmi les plus remarquables en qualité et les plus constants en prix.
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Tardieu-Laurent
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Dominio de Pingus
(+Bodegas Alnardo)
Les 3 principaux critiques américains, Antonio Galloni et Neal Martin de Vinous.com et William Kelley du Wine Advocate, ont déjà rendu leur verdict sur les Bordeaux 2023.
Alors qu'un futur millésime s'amorce en ce début de printemps, nous avons comme toujours le grand plaisir de vous confier nos premières impressions générales quant à la qualité attendue des Bordeaux du millésime 2023, avant les premières mises en vente en primeur qui débuteront dès le 29 avril.
Cette campagne 2023 sera rapide et dynamique jusque début juin. Nous y reviendrons par une newsletter que vous recevrez chaque samedi matin et qui vous donnera nos impressions concernant la qualité et le prix des nouveaux crus mis en marché durant la semaine écoulée, les avis des journalistes que nous suivons et toute information utile pour appréhender au mieux ce nouveau millésime 2023 qui, comme tous millésimes, ne ressemble à aucun autre.
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Bordeaux 2023 : la météo
La météorologie des mois du cycle végétatif de la vigne (mars-octobre) présente en 2023 de nombreuses similitudes avec celle quasi parfaite de 2022 :
• comme en 2022, le temps sec et chaud fin mai permit à la floraison de se dérouler en quelques jours, homogène et sans coulure ni millerandage,
• comme en 2022, juin fut à la fois plus chaud (Tx=27,9°C, soit 2,9°C au-dessus de la moyenne), et très arrosé (102,2mm de pluie, soit 45% au-dessus de la moyenne), conditions idéales pour une forte pression du mildiou,
• comme en 2022, juillet et août ont connu une sécheresse marquée (21,9mm en juillet soit 55% de déficit et 33,6mm en août soit 41% de déficit).
Deux grandes différences distinguent toutefois l'été 2023 de l'été 2022 :
• juillet et août 2023 relativement frais alors que juillet et août avaient été si chauds en 2022 :
- juillet 2023 : Tx=27,6°C, soit seulement 0,5°C au-dessus de la moyenne (Tx=31,0°C en 2022),
- août 2023 : Tx=28,6°C, soit seulement 1,0°C au-dessus de la moyenne (Tx=31,8°C en 2022),
• une fin d'été exceptionnellement chaude et ensoleillée :
- le plus chaud mois de septembre jamais vu : Tx=28,6°C, soit 4,4°C au-dessus de la moyenne,
- le second plus chaud mois d'octobre 2023 jamais vu : Tx=23,2°C, soit 3,6°C au-dessus de la moyenne.
En première approche, plusieurs enseignements découlent de ces particularités météorologiques :
• en l'absence de gelées de printemps et sauf en cas d'un mildiou dévastateur, les volumes récoltés en 2023 ont été satisfaisants en vins blancs secs et rouges (liquoreux exceptés),
• l'été sans températures excessives a préservé l'acidité des raisins pour donner de très grands vins blancs secs et des rouges dans le classicisme bordelais, mûrs et frais,
• la belle arrière-saison, typique de "l'été indien" habituel en Aquitaine, a été garante de vendanges sans stress pour les rouges, et de conditions propices au botrytis en Sauternais.
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Bordeaux 2023 : un millésime surtout hétérogène
Avant d'examiner dans le détail la qualité des 2023, il faut considérer en premier lieu que ce millésime est particulièrement hétérogène et qu'aucune de ses caractéristiques fondamentales n'est forcément commune et applicable à l'ensemble des châteaux, même voisins immédiats.
Cette hétérogénéité, évidente dès nos premières dégustations, est comme souvent multifactorielle (et indépendante de la volonté qualitative et du savoir-faire propre à chaque cru) :
• l'impact quantitatif des attaques de mildiou, concernant majoritairement les merlots. Cet impact, négligeable chez les uns mais ravageur chez d'autres, a contraint nombre de crus à sensiblement modifier leurs proportions habituelles d'assemblage entre les différents cépages,
• les épisodes pluvieux de juillet et août ont été des remontées orageuses de la péninsule ibérique, avec des arrosages totalement erratiques, parfois à 100m près. Ce régime hydrique chaotique a induit ici et là des écarts notables dans les véraisons (coloration des raisins rouges), des blocages de maturité sur les jeunes vignes et les terroirs les plus drainants (sables), et des gonflements importants des baies dans les vignobles les plus arrosés.
• l'étalement des dates de vendanges car il était plus difficile qu'à l'habitude de déterminer en 2023 les dates optimales de vendanges et, après deux mois d'un été plutôt frais, d'imaginer que septembre et octobre seraient aussi chauds et permettraient d'atteindre des maturités parfaites.
• la bonne négociation des deux épisodes pluvieux survenus au beau milieu des vendanges : le 12 septembre (34,7mm, soit 34,7 litres d'eau par pied de vigne planté à 10000 pieds/ha) en fin des blancs/début des merlots, et le 21 septembre (23,9mm) en fin des merlots/début des cabernets.
Conséquence de cette hétérogénéité, 2023 comprend à tous niveaux et sur toutes les appellations des vins convenables sans plus, d'autres excellents et quelques-uns véritablement exceptionnels.
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Bordeaux 2023 : très grand millésime pour les blancs secs
L'été 2023 a été particulièrement favorable à la maturité des cépages blancs avec une chaleur et un ensoleillement modérés en juillet et août, assurant une maturité sans à-coups et des acidités préservées, le tout sous une sécheresse persistante protégeant en continu l'état sanitaire des raisins et leur pureté aromatique.
L'essentiel des vendanges des blancs secs a eu lieu du 21 août au 8 septembre par temps sec (avant le premier abat d'eau du 12 septembre), les sauvignons et sémillons étant mûrs et ramassés quasi simultanément. Indéniablement, les raisins blancs présentaient dès l'entrée au cuvier toutes les caractéristiques et le potentiel aromatique des plus grands millésimes.
Les sauvignons ont un très bel éclat aromatique, frais et élégant comme attendu, soutenu de surcroît d'une profondeur de chair peu commune pour ce cépage. Manifestement, les sauvignons ont grandement profité des chaleurs fin août (la semaine du 21 au 27 a été la plus chaude du mois d'août) pour concentrer leur jus et acquérir une densité aromatique rare sans rien perdre de leur vivacité.
Pour leur part, les sémillons disposent de tout autant de fraîcheur et de puissance aromatique, avec le supplément de gras et de moelleux qui leur est propre. Ils ne sont jamais lourds ni patauds grâce à la tension inhérente au millésime.
Ces grands blancs 2023, plus vifs que les 2022, seront cependant rapidement expressifs et appréciables, à partir de 2027 pour la grande majorité d'entre eux. Ils disposeront d'une excellente aptitude au vieillissement, jusqu'à 20 ans pour les plus grands Pessac-Léognan.
Dans la hiérarchie des derniers millésimes bordelais en blancs secs, nous situons 2023 au sommet, comparable à 2021 mais devant tous les autres millésimes récents.
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Bordeaux 2023 : grand millésime pour les blancs liquoreux
Comme indiqué ci-dessus, l'obtention début septembre de raisins blancs sains et mûrs était chose aisée en 2023. Encore fallait-il échapper aux ravages du mildiou en juin, ce qui ne fut malheureusement pas le cas de tous, comme à Climens qui a produit (en bio) 4000 bouteilles sur les 13 ha de son vignoble, soit un rendement total d'à peine 2,3 hl/ha.
Les deux perturbations atlantiques des 12 et 21 septembre sont, avec leurs abondantes précipitations (80mm en 10 jours), arrivées à point nommé pour signer la fin de la saison sèche et lancer une botrytisation rapide et homogène.
Grâce au retour de l'anticyclone dès le 23 septembre et jusqu'au 17 octobre, les producteurs du Sauternais purent organiser leurs vendanges en toute quiétude sur près de 4 semaines. En général, deux à trois tries suffirent pour rentrer des raisins botrytisés à point, sans trace de piqûre acétique ni de pourritures parasites.
À partir du 18 octobre, les pluies automnales continues signifièrent la fin des vendanges chez tous, avec un rendement moyen du Sauternais finalement assez convenable de 12,5 hl/ha.
Les vins sont purs, avec une savoureuse franchise aromatique et une richesse en sucre élevée, supérieure à celle des 2022, mais parfaitement contrebalancée par l'acidité naturelle du millésime. Parmi les derniers millésimes, le plus comparable à 2023 serait le millésime 2016.
Comme l'a écrit la Faculté d'œnologie de Bordeaux (I.S.V.V.), peu suspecte de complaisance : « Très aromatiques, avec des notes de confit dignes des meilleures années, les blancs liquoreux sont puissants, profonds, tout en conservant une grande fraîcheur. La pureté de leur expression, leur équilibre et leur densité positionne 2023 dans la lignée des grands millésimes de vins liquoreux ».
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Bordeaux 2023 : des rouges en quantité variable
Les vendanges des merlots débutèrent dès les premiers jours de septembre et celles des cabernets à partir du 18 septembre, l'écueil principal étant d'éviter autant que possible les pluies des 12 et 21 septembre et leurs conséquences (dilution des jus).
Le ramassage des merlots au beau milieu des deux vagues pluvieuses fut le plus perturbé, les producteurs devant choisir entre cueillir des raisins concentrés mais d'une maturité incomplète, ou quelques jours plus tard des raisins davantage mûrs mais gonflés par les pluies.
À l'inverse, les cabernets, plus tardifs, ont été principalement vendangés après le 21 septembre donc après les épisodes pluvieux. En outre, les cabernets ont bénéficié du temps chaud et calme de l'anticyclone qui s'ensuivit pour parfaire sans hâte leurs maturités.
Les quantités vendangées ont été le reflet de la virulence des attaques de mildiou du printemps, elle-même fonction de la qualité des terroirs : un grand terroir, mieux ventilé et mieux drainé, est toujours moins sensible aux maladies cryptogamiques.
En 2023, les grands terroirs ont ainsi pu conjuguer qualité et quantité. Autant 2022 avait réduit les écarts qualitatifs entre les crus, autant 2023 les aura amplifiés.
Pour preuve les déclarations de récolte de l'œnologue Nicolas Thienpont : 43 hl/ha et 48 hl/ha à Larcis-Ducasse et Pavie-Macquin, les 1ers grands crus classés de Saint-Émilion dont il a la charge, seulement 23hl/ha à Puyguéraud, sa propriété des Côtes de Francs.
Autre exemple avec les grands crus de Saint-Julien : 51 hl/ha à Lagrange, 53 hl/ha à Léoville-Poyferré, 54 hl/ha à Talbot, etc. mais plus modestement 24 hl/ha à du Retout, l'excellent cru bourgeois de la commune limitrophe (Cussac-Fort Médoc).
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Bordeaux 2023 : des rouges de qualité variable
Qualitativement, les œnologues ne savaient prédire les conséquences, heureuses ou néfastes, de la canicule (19 jours à plus de 30°C entre le 16 août et le 15 septembre, dont 8 à plus de 35°C) survenue en fin de cycle végétatif après deux mois tempérés.
Cette chronologie, originale et totalement inédite jusqu'ici en Gironde, était a priori très favorable aux cabernets francs et sauvignons, cépages à maturité plus tardive que les merlots. Les deux cabernets ont toujours pleinement réussis les années à belle arrière-saison (= à "été indien").
Rive gauche. Après 3 mois d'élevage, les grands noms de la rive gauche confirment pleinement l'exceptionnelle réussite des cabernet-sauvignon, notée dans le rapport de l'I.S.V.V. : « Sur les grands terroirs, les cabernet-sauvignon 2023 sont remarquables : racés, structurés, savoureux, avec une bonne profondeur et une expression de fruits noirs, sans aucun caractère végétal ».
Pour ces grands châteaux du Médoc et des Graves, 2023 réussit le tour de force de réunir la fraîcheur aromatique et l'élégance conférées par l'acidité, avec la rondeur de texture voire la volupté dues à une maturité aboutie. Tout en étant moyennement corsés et alcoolisés (12°5 à Poujeaux, 12°8 à Lafite-Rothschild, 12°9 à Cos d'Estournel, 13°0 à Talbot et Pichon-Comtesse, 13°1 à Margaux, Léoville-Las Cases et Poyferré, 13°2 à Pichon-Baron...) car les 2023 n'ont ni la puissance ni la richesse des 2022.
Globalement, nous avons noté davantage de réussites dans la partie nord de la rive gauche (Saint-Julien, Pauillac, Saint-Estèphe et au-delà) que dans la partie sud (Margaux et Pessac-Léognan), plus affectée par le mildiou. Dans les terroirs de second plan ou chez les producteurs qui n'ont pas attendu la pleine maturité de leurs cabernet-sauvignon, les vins présentent une dureté de tannins et/ou une verdeur aromatique que seul le vieillissement en bouteille permettra d'adoucir quelque peu.
Rive droite. Dans le Libournais, les cabernets francs à bonne maturité sont excellents, floraux, délicats et finement tanniques. Ils sont venus épauler de bons merlots colorés, fruités (fruits rouges), expressifs et de bonne ampleur pour ceux cultivés sur les sols profonds (argileux et argilo-calcaires).
Sinon, merlots et cabernets francs ont donné au mieux des vins assez simples, plaisants et facilement accessibles (parfaits pour la restauration) mais sans l'étoffe et la longueur en bouche attendue de grands vins. Ou au pire des vins manquant de chair, avec des tanins raides et des arômes marqués par le mildiou (champignon, lierre, poussière) suite à un tri insuffisant.
Sur les deux rives. Chez les meilleurs, 2023 nous rappelle 2011 pour le style et la réussite des cabernets, et 2004 pour la générosité de la récolte. Avec au final, beaucoup de vins corrects, certains vraiment excellents et quelques-uns tout à fait exceptionnels. Comme en 2004 !
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Bordeaux 2023 : des rouges avec des prix (nécessairement) en baisse
À Bordeaux, le prix d'un nouveau millésime est toujours la résultante de deux données distinctes :
- 1°) la qualité du millésime par rapport aux précédents,
- 2°) le contexte économique du moment.
En l'occurrence, il est certain que, même si 2023 peut être qualifié de bon à très bon millésime bordelais, il restera inférieur en réputation et en notoriété à 2022, millésime exceptionnel aux innombrables réussites.
Quant au contexte économique actuel, nous dirons qu'il est pour le moins incertain, entre les économies chinoise, japonaise et européenne en berne, les conflits russo-ukrainien et irano-israélien en cours, les tensions géopolitiques U.S.A.-Chine, la crainte du retour des taxes Trump, etc.
Pour ces raisons, une baisse des prix sensible (revenir peu ou prou au prix des "Primeurs 2019" corrigé de l'inflation) est attendue par les opérateurs et consommateurs du monde entier. Les "Primeurs 2023" débutant dès la semaine prochaine, nous saurons rapidement si le message est bien passé...